LE GRAND ANTEPENDIUM DES URSULINES D’AMIENS
RETOURNE À AMIENS

Pendant sept ans, Josiane et moi avons eu le privilège de posséder et de vivre avec le grand antependium des Ursulines d’Amiens, jusqu’à son acquisition, en 2024, pour le Musée de Picardie de cette ville. Cette œuvre magistrale, que je considère comme la plus belle broderie liturgique du XVIIe siècle français, sera exposée jusqu’au 6 juillet 2025 dans le cadre somptueux de sa nouvelle demeure donnant ainsi l’occasion aux amiénois de l’admirer « dans son jus ».

Affiche

Il faut dire que, en dépit de ses plus de 350 ans d’âge, elle s’offre, éblouissante, aux yeux des spectateurs qui ont le privilège de la découvrir, encore fraiche, en attente d’une restauration qui la préservera pour les générations futures grâce à son inaliénabilité récemment acquise. 
Antependium entier

Grand antependium des Ursulines d’Amiens - Photo©Irwin_Leullier

L’exposition, est placée sous le commissariat général de Pierre Stepanoff, Directeur des musées d’Amiens et cheville ouvrière de l’acquisition de l’œuvre, et le commissariat scientifique de François Seguin, conservateur du patrimoine en charge des objets d’art du musée de Picardie. Ce dernier est l’auteur d’un livre, fort documenté, sur les Ursulines d’Amiens[i], l’antependium lui-même et d’autres broderies du même atelier, dont j’aurai l’occasion d’en faire la présentation plus loin. Il a servi à la rédaction des notices des cartels, très précises et didactiques, fort bien illustrées. Une vue de la salle d’exposition donne, en dépit de quelques fâcheux reflets, une bonne idée de l’impact visuel que s’impose au visiteur en y pénétrant.
Salle dexposition

  Vue de la salle d’exposition montrant au premier plan les vitrines des voiles de calice et, au fond,
le grand antependium. Photo ©DHF.

L’antependium

Je voudrais attirer ici l’attention des futurs visiteurs sur certains aspects techniques qui me semblent être essentiels pour bien apprécier la maitrise des brodeuses de l’atelier de broderie des Ursulines d’Amiens. En premier lieu, l’utilisation des fils de laine, à fibres courtes et par conséquent donnant des surfaces opaques, pour les carnations et les chevelures, et des fils de soie, à fibres longues et luisantes, pour rehausser localement les cils, les bouches, les yeux, les boucles des coiffures et autres ornements, comme dans le détail de la Charité qui suit.

Détail CharitéDétail de la Charité - Photo©Irwin_Leullier
On reconnait immédiatement les fils de soie qui viennent accentueur l’ondoiement des voiles, les plumes, les sourcils, les yeux et la bouche et les boucles de la chevelure de la Charité. On note aussi comment sa coiffe bénéficie de l’opacité de la laine, la brillance de la soie (parties blanches) et des perles sur un fond argent en couchure fortement oxydé.      

Plus remarquable encore les yeux de l’enfant Jésus, dessinés avec des points de broderie que, combinant laine et soie de différent nuances, donnent  aux cristallin et la pupille une remarquable expressivité. Quelques points sont comme les touches d’un mince pinceau, avec, par rapport à la peinture, une différence considérable puisque  la touche admet un « pentimento[ii] » tandis que le point est, généralement, incorrigible.

Détail des yeux de l'enfant

Détail des yeux de l’Enfant- Photo©Irwin_Leullier

Sans vouloir être trop emphatique, je ne peux m’empêcher d’attirer l’attention du lecteur sur la mise en abime de la broderie dans la bordure du manteau bleu de la Vierge.

Détail de la bordure du manteau de la viergeDétail de la broderie de la bordure du manteau bleu de la Vierge - Photo©Irwin_Leullier
Elle est faite, à plat et en guipure
[iii], sur un taffetas de soie ivoire. De gauche à droite on trouve ; une fleur d’imagination dont les étamines, figurées par des points de nœud, sont entourées par de la canetille (frisure) en guipure représentant les pétales. Au centre une autre fleur, plus petite avec six pétales alternant de la lame et de la frisure en guipure, suivie par une autre fleur analogue à la première, en guipure de frisure et bouillon. Le champ entre les fleurs est semé de paillettes et de brins de canetille. En partie base, limitant la bordure, on note une cartisane métal. 

Mais c’est dans la broderie de la robe de Sainte Ursule - égayée de perles de diverses tailles - et les habits de saint Augustin – chape brodée et aux riches orfrois, étole et mitre – que l’on atteint une indiscutable magnificence.
Robe sainte Ursule

Détail de la de la robe de Sainte Ursule – Photo©Irwin_Leullier
Le corsage, est agrémenté d’une broderie en écaille de poisson indiquée par des filés (deux brins) en couchure. À l’intérieur de chaque écaille deux courts brins de canetille (frisure) entourés de toutes petites perles. Il se ferme par des boutons figurés par des perles de plus grande taille. Une broderie, imitant une dentelle, couvre la gorge de la sainte et est retenue par des lignes de perles. Les manches sont, elles aussi, couvertes par une profusion de filé et canetille argent ainsi que des perles. On note aussi un élément constitué de six cabochons (en verre ?) rouges autour d’un doré sertis sur métal en haut de la manche. La jupe est aussi recouverte d’une broderie de filé et canetille en cochure

MitreDétail de la mitre de Saint Augustin – - Photo©Irwin_Leullier
A la base, entre deux lignes de cartisane, une ligne formée par la succession d’éléments constitués de six cabochons (en verre ?) rouges autour d’un doré, sertis sur métal et séparées par deux grosses perles. Suit une ligne de perles de plus petite taille. Sur la face conique visible on observe un cartouche circulaire bordé de cartisane entouré d’éléments métalliques, comme ceux décrits ci-dessus, et de perles de grosse et petite taille reliées par des filés argent (deux brins). Une ligne de plus petites perles vient ourler le soufflet qui se termine par une ligne de cartisane.           

Là où, à mon avis, on atteint le grandiose dans la broderie de figures est dans le prêtre agenouillé qui accompagne saint Augustin au cours de son extase. La « peinture à l’aiguille » est parfaitement illustrée par ce morceau de bravoure qui le montre la figure suivante.
Prêtre agenouille

Détail du pretre agenouillé de la scène de saint Augustin – Photo©Irwin_Leullier
La tête du prêtre se détache sur le fond bleu du manteau de l’ange. Le brodeur a joué avec les nuances des fils de laine pour représenter avec un grand réalisme les rides sur le front, un rasage imparfait sur le menton et l’arrière des joues, les poches sous les yeux, quelques rougeurs sur le nez et l’avant des joues ainsi que l’accentuation d’un rictus. Le regard vers le haut est d’une grande vivacité, achevée grâce à l’opportune utilisation de quelques points de soie blanche autour de l’œil gauche et de deux autres points, isolés ceux-là, qui croissent la pupille de chacun des yeux. Le peu de cheveux qui lui restent sont aussi traités avec de la laine et de la soie blanche.
Elle est aussi utilisée pour indiquer le surplis (ou aube ?) transparent, la dentelle des embouchures des manches et celle de la bordure inférieure, en particulier. 

 

Autres Broderies de l’atelier des Ursulines

Comme je l’ai annoncé, les organisateurs de cette exposition ont estimé qu’il était intéressant d’accompagner l’antependium de quelques autres broderies, produites quelques dizaines d’années plus tard, vers la fin du XVIIe siècle, pour montrer la continuité des techniques et la perfection de la réalisation. Je vais me concentrer sur trois voiles de calice qui se distinguent en particulier par la couleur de leur fond ;  « Satin de soie rouge, couleur des martyres, pour la sainte Ursule[iv] ; fond losangé de soie verte, couleurs des temps après l’Épiphanie et après la Pentecôte réalisé au passé plat à fils comptés pour le Christ enfant ; couchure de filé argent, équivalent au blanc des fêtes de la Vierge, du Christ et des saints non-martyres, pour la Vierge à l’Enfant[v] ». Ils sont présentes en entier et en détail dans la suite.     

Voile de calice sainte Ursule entier

Voile de calice avec Sainte Ursule - Photo©Irwin_Leullier

Voile de calice sainte ursule detailDétail du vase fleuri du voile de calice avec Sainte Ursule - Photo©Irwin_Leullier
Le satin de soie rouge du fond est parsemé de paillettes de différentes tailles tenues par des courts brins de canetille. Les fleurs sont en soies polychromes au passé empiétant satinées par des filés or. Le vase est superbement représenté en utilisant surtout de la lame et de la canetille en guipure (voir les godrons de la panse et du col ainsi que les anses). Même technique pour les rinceaux reliant les vases dans les écoinçons.  

Voile de calice lenfant jesus entierVoile de calice du Christ enfant- Photo©Irwin_Leullier

Voile de calice lenfant jesus enfant entier bisDétail du vase fleuri du voile de calice avec le Christ enfant - Photo©Irwin_Leullier
Le fond est totalement couvert de soie vert posée formant un décor losangé sur lequel se détache un vase fleuri entouré de rinceaux enchevêtrés, des fleurs et des feuillages. Les fleurs sont très finement brodées au passé empiétant et points de nœud avec des soies polychromes, d’une large palette de nuances. Les vases et les rinceaux combinent l’or - filé et lame en guipure sur corde, canetille - et les soies de différentes teintes de jaune pour accentuer l’effet métallique, La panse du vase rehaussée par des soies bleu est assez inattendue .       
Voile de calice vierge a lenfant entierVoile de calice de la Vierge à l’Enfant - Photo©Irwin_Leullier

Voile de calice vierge a lenfant detailDétail du vase fleuri du voile de calice avec la Vierge à l’Enfant - Photo©Irwin_Leullier
Notez le remarquable fond d’argent en couchure qui peut être comparé à celui du voile de calice du Trésor de la Cathédrale du Puy-en-Velay
[vi]. Aussi, la présence de la représentation d’une étoffe rouge s’enroulant dans les rinceaux, rappelant les décors à la Bérain, la fine gaufrure or ornant les côtés des vases, inattendue pour l’époque, et la remarquable broderie des fleurs, rendent cette œuvre particulièrement intéressante.

Conclusion

Je ne veux pas prêcher pour ma paroisse, d’autant plus que ce qui me connaissent savent bien que je suis athée, mais vous devez visiter cette exposition. Par la même occasion je vous annonce que je donnerai une conférence le 24 avril à 18h30 consacrée à « une petite histoire de la broderie » et que le jeudi 12 juin à la même heure notre amie Danièle Véron-Denise parlera de « l’art de la broderie chez les Visitandines au XVIIe siècle ». Une manière de confronter le travail de deux communautés religieuses ayant, avec bonheur, pratique cet « art mineur ».

                                                                                                                    Daniel H. Fruman
                                                                                                                                Mars 2025


[i] SEGUIN (François), le Grand Antependium des Ursulines d’Amiens/Chef d’œuvre de Broderie du Grand Siècle, éditions invenit, Lille, 2025

[ii] Repentir

[iii] Voir COUGARD-FRUMAN (Josiane) & FRUMAN (Daniel H.),  Le trésor brodé de la cathédrale du Puy en Velay : Chefs-d'œuvre de la collection Cougard-Fruman, Albin Michel, Paris, 2010. p. 2920-292 et/ou https://www.plaisirstextiles.com/pages/glossaire-de-la-broderie.html

[iv] Se réfère au motif représenté au centre des voiles.

[v]SEGUIN, p. 86.

[vi] COUGARD-FRUMAN (Josiane) & FRUMAN (Daniel H.), n°36, p. 126/127 et 263.

Date de dernière mise à jour : 17/03/2025