UNE BOURSE DE CORPORAL DU PAPE JEAN XXIII
PRÉSENTATION
Au cours d’un récent voyage à Milan je suis retourné, après de très nombreuses années, à la Pinacoteca Ambrosiana, institution très ancienne et prestigieuse, à l’abri des hordes de touristes qui s’engouffrent dans le Duomo ou dans la Pinacoteca de Brera. Laissons de côté les richesses picturales qu’elle possède en abondance pour nous pencher sur un objet de petites dimensions puisqu’il s’agit d’une bourse de corporal brodée, donnée comme ayant appartenu à « Baldassarre Cossa (Procida, province de Naples, v. 1360 – Florence, 22 décembre 1419), élu pape par le concile de Pise en 1410 sous le nom de Jean XXIII, déposé par le concile de Constance en 1415, et considéré comme un antipape par l’Église catholique romaine. Le 29 mai 1415 il fut formellement déposé. Il mourut le 22 décembre 1419 à Florence. Son corps fut inhumé au baptistère Saint-Jean-Baptiste de Florence, dans un tombeau commandité par les Médicis et sculpté par Donatello ». Que ce personnage, de toute évidence contesté, ait mérité un tel hommage posthume, me fait penser que le modeste objet dont il sera question dans cette note aurait pu lui appartenir.
Cette bourse, Figure 1, est carrée, mesure 20 cm de côté et elle est destinée à conserver le corporal, linge liturgique sur lequel sont posés le calice, le ciboire et la patène. Elle est pourvue d’un rabat sur le devant et, probablement, d’un soufflet sur les deux cotés latéraux.
FIGURE 1
Elle est décorée sur le devant par la scène du Couronnement de la Vierge par son Fils, entourés par six anges musiciens, trois de chaque côté, jouant d’une flute, d’un tambour, d’un violon, d’un luth, d’une harpe et d’une trompette.
Photo provenant du site.
FIGURE 2
À l’arrière on a une image de la Vierge en gloire soutenue par six chérubins et entourée de six anges musiciens, semblables à ceux de l’avant, jouant d’une mandoline, d’un violon, d’une harpe, une trompette, un tambourin et un instrument, probablement à cordes, non identifié. À noter que l’image de la Vierge et des chérubins est parfaitement intégrée dans le motif dessiné par le velours. Photo DHF
L’étoffe de fond est un velours dont les poils dessinent un motif en « ferronnerie », formé par des rangées décalées et imbriquées de lobes, agrémentés de brindilles et reliés par des doubles bagues. Une observation détaillée permet de voir que l’espace entre le décor velouté est une armure toile recouverte de filés or en couchure laissant en réserve la place destinée à la broderie en soie, figures 3 et 4.
FIGURE 3
À l’extrême gauche on voit le fond toile suivi, à droite, de motifs en velours coupé (poil) et en bas à droite une des bagues. Entre ces éléments on trouve de la broderie en couchure, qui recouvre en quasi-totalité le fond toile, laissant en réserve la place destinée à la broderie d’un ange musicien dont on aperçoit le haut d’une aile à gauche en bas.
Photo provenant du site.
FIGURE 4
Cette figure montre l’ange à la trompette, dont on apercevait une partie du nimbe et de l’aile droite dans la Figure 3. On retrouve la toile dénudée des points de broderie, à gauche et en haut, et les motifs en velours coupé. Le visage et les mains des anges sont en points fendus, la trompette et les nimbes en filé couché, l’habit en filé or (plus gros que celui de la trompette) en couchure, les cheveux en filé or pour celui du haut et en canetille pour celui du bas. Finalement, les ailes en guipure sur filé or, l’une d’elles, à droite, cernée par un cordonnet.
Photo provenant du site.
FIGURE 5
Cette figure montre à gauche la toile ayant perdu ses points de broderie avec le dessin sous-jacent des plis du manteau du Christ, la partie basse de la doublure de l’habit du Christ en soie rouge au point fendu, la trompette en filé couché, le visage et les mains de l’ange en points fendus, l’habit de l’ange en filé or (plus gros que celui de la trompette), les cheveux en file or, le nimbe, dont la broderie a disparu et qui laisse voir la toile, et, sous la trompette et le bras de l’ange, une partie des bagues et des « brindilles » du motif en velours immergé dans la broderie métal en couchure.
Photo DHF
FIGURE 6
Cette figure permet de voir comment l’espace entre le décor velours est recouvert de couchure métal (pas dans le même sens), les filés en couchure recouverts de soie jaune pour produire l’effet « guipure » des ailes et la soie bordeaux utilisée pour croiser, très serrés, les fils métal couchés de l’habit de l’ange au tambourin. Notez aussi la canetille pour les cheveux. Photo DHF
Toutes les techniques évoquées dans les commentaires des deux figures précédentes se retrouvent dans les détails du Christ et de la Vierge en figures 7 à 9.
FIGURE 7
Le fond, hors velours, est totalement recouvert de filé or, posé horizontalement en couchure. La couronne et le nimbe de la Vierge, la chevelure et la barbe du Christ, le col et les manches de son habit sont aussi en couchure disposée suivant les contours à représenter. Le nimbe crucifère est en guipure métal intercalé de couchure croisée de soie carmin très serrée. Le travail en point fendu des visages et mains ainsi que des habits est de toute beauté. Photo DHF
FIGURE 8
On voit comment le manteau du Christ se trouve harmonieusement intégré au niveau des épaules dans les lobes du décor velours et le superbe rendu de l’habit et du manteau du Christ par les points fendus parfaitement nuancés. Photo DHF
FIGURE 9
À la hauteur des épaules de la Vierge on voit deux fils métal détachés qui montrent clairement les boucles de retour du filé posé en couchure. Comme pour le Christ, le rendu de l’habit et du manteau ainsi que celui des carnations est superbe. Photo DHF
CONCLUSION
La seule conclusion qui apparait pertinente est qu’il s’agit d’une œuvre magistrale de la fin du XIVe ou du tout début du XVe siècle qui pourrait provenir d’un atelier toscan, et plus particulièrement florentin, dont la production était très importante et recherchée à cette époque. Son état de conservation est remarquable, et même excellent, en dépit des pertes visibles en certaines parties des fonds en couchure, et de l’abrasion, relativement limitée, des soies en points fendus.
Daniel H. Fruman
REMERCIEMENT
J'ai bénéficié des corrections et des pertinents commentaires de Madame Danièle Denise, Conservateur honoraire du patrimoine.
Date de dernière mise à jour : 03/04/2023
Commentaires
-
- 1. Anne de Thoisy-Dallem Le 08/04/2023
Quel objet merveilleux ! Merci Daniel -
- 2. Annie Carlano Le 07/04/2023
Thank you Daniel for sharing your research on this little known exceptional embroidery from the Ambrosiana. It is unknown to me, and I am so curious to know if any of my Italian colleagues are aware of it through their own work or in the literature. In its drawing, it seems Florentine, and your point about the needlework workshops in Florence at the time are spot on. Bravo!
Ajouter un commentaire