RETOUR AUX BELLES ENDORMIES
Quelle ne fut ma surprise quand, visitant l’exposition pour le centenaire de la Maison Lesage à la Galerie 19M, j’ai découvert les croquis, fig. 1, des deux vestes de la collection Haute Couture Printemps/Été 1988 d’Yves Saint Laurent, l’une supposée être embellie avec un décor inspiré par le tableau « Bouquet de Tournesols » de Vincent van Gogh et l’autre par les « Iris[1] » du même auteur.
Figure 1
Vestes « Bouquet de Tournesols » et « Iris », Yves Saint Laurent, Haute Couture Printemps/Été 1988
Collection Maison Lesage
La figure 2 montre ces deux projets, transposés par la magie de la coupe et, surtout, de la broderie.
Figure 2
Vestes « Bouquet de Tournesols » (à gauche) et « Iris » (à droite)
Yves Saint Laurent, Haute Couture Printemps/Été 1988
Le cartel de la veste « Iris », fig. 3, que j’avais eu la chance de voir à l’occasion de l’exposition Sleeping Beauties au Metropolitan Museum de New York est suffisamment intéressante pour que je copie sa traduction : « Des vêtements qui éblouiront les foules dans les futures expositions de musées », c’est ainsi que Bernadine Morris, critique de mode du New York Times, résuma la collection haute couture printemps/été 1988 d’Yves Saint Laurent. L’un des points forts de la collection est la veste « Iris » présentée ici, un simulacre du tableau de Vincent van Gogh de 1889. La veste reprend la composition recadrée de l’original en zoomant encore plus sur les lignes courbes et sinueuses des iris. Plus remarquable encore, la broderie amplifie la luminosité des couleurs de Van Gogh et met en valeur la matérialité de ses coups de pinceau épais, courts et ondulés ... Selon la Maison Lesage, qui a réalisé la broderie, ce tour de force artistique et technique a nécessité 600 heures de travail manuel, 250 mètres de ruban, 200 000 perles et 250 000 paillettes en 22 couleurs. Neuf artisanes ont travaillé sur cette pièce … cousue sans couture pour créer une « toile » unifiée »
Figure 3
Yves Saint Laurent, Veste « Iris », Printemps/Été 1988
Metropolitan Museum, NYC, Achat[2], Amis du Costume Institute, 2019 (2019.93a), © Sophie Carre
À côté du croquis mentionné ci-dessus était exposé, fig. 4, l’échantillon de broderie de l’« idée » d’YSL pour les iris, qui, grâce à la « magie » (je n’exagère point) du « mixed media », constitué par les rubans, les perles (tubes de verre) et les paillettes, brodé par les petites mains de la Maison Lesage dépasse et sublime l’œuvre de Vincent et l’intuition d’Yves.
Figure 4
Échantillon de broderie par la Maison Lesage pour la veste « Iris » d’Yves Saint Laurent
Que « la veste reprend la composition recadrée de l’original [le tableau] en zoomant encore plus sur les lignes courbes et sinueuses des iris » est parfaitement visible sur la figue 5, où nous avons à gauche le détail d’un iris brodé et à droite le peint. Que « …la broderie amplifie la luminosité des couleurs de Van Gogh et met en valeur la matérialité de ses coups de pinceau épais, courts et ondulés » me parait une évidence... Nous voyons comment le brodeur ou la brodeuse a intercalé la broderie de tubes de verre (jais), se suivant les uns aux autres comme il convient, avec celle de paillettes, parfois sagement couchées et se recouvrant les unes les autres, parfois totalement déstructurées et posées de manière quelque peu anarchique. C’est ainsi qu’il ou elle obtient, grâce aux très nombreuses nuances des couleurs, qui vont du bleu ciel au bleu violacé, cerné du noir profond pour les pétales, aux verts les plus variés pour les feuilles en passant par quelques « touches » de jais orange qui apportent de la chaleur, comme dans la peinture, à des tonalités plutôt froides.
Figure 5
Comparaison d’un iris, à gauche en broderie, à droite en peinture à l’huile.
Je souhaiterais, à partir d’ici, montrer, sans aucun commentaire, des photos de détails de l’échantillon de la maison Lesage pour le plaisir de ceux qui, je ne doute pas, seront enchantés par tant d’adresse et de gout.
[1] Dans un texte consacré à Yves Saint Laurent et le Japonisme, le musée YSL écrit au sujet de cette veste « La nature est un thème privilégié de l’art japonais. Les iris sont souvent représentés dans les estampes, les intérieurs de temples et les textiles. On les retrouve notamment sur les remarquables paravents d’Ogata Korin (1658-1716) et dans les estampes de Katsushika Hokusai (1760-1849). Après l’Exposition universelle de 1867, où le Japon était officiellement présent pour la première fois, le mouvement japonisant est né. Il a influencé des artistes comme Vincent van Gogh (1853-1890), dont le tableau Iris de 1889 (conservé au J. Paul Getty Museum de Los Angeles) réinterprète la série Iris et Sauterelle d’Hokusai. Saint Laurent poursuit dans la même veine en concevant, pour la collection printemps-été 1988, une veste brodée par la maison Lesage représentant le tableau de Van Gogh, empruntant ainsi plus largement à l’imagerie japonaise. » Texte original en anglais traduit par Google.
[2] Le 23 janvier 2019 à Paris, la maison Cornette de Saint-Cyr dispersait le vestiaire Yves Saint Laurent de la femme d’affaires libanaise Mouna Ayoub. Totalisant 400 000 euros d’adjudications, la vente a été ponctuée par une enchère record pour une veste de soie en organza brodé, adjugée 175 500 euros (frais compris). Confectionnée en 1988, elle arborait en guise de motif le célèbre tableau Iris de Vincent Van Gogh, au gré de paillettes, de perles et de rubans peints. Voir https://magazine.interencheres.com/art-mobilier/record-mondial-pour-une-veste-yves-saint-laurent-estimations-pulverisees-pour-foujita/
Texte et photos Daniel H. Fruman
(sauf quand renvoi à une adresse Internet)
Novembre 2024
Date de dernière mise à jour : 19/11/2024
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