LA FINE FLEUR DE LA BRODERIE
La Fine Fleur de la Broderie
Œuvres inédites du Musée de la Visitation
Je viens de visiter l’exposition que Gérard Picaud et Jean Foisselon ont organisé à Moulins, comme ils le font tous les ans depuis pas mal de temps. Ils l’ont consacré « aux pièces textiles inédites rehaussées de broderies florales[1] » qui ont pour « point commun leur iconographie, leur excellent état de conservation et la grande virtuosité des brodeuses qui en ont exécuté les décors ». Il se trouve que les six premiers numéros du catalogue, qui en comporte soixante-quatre, font partie des vingt-et-une œuvres données par Josiane et moi au musée entre 2019 et 2021. Elles se caractérisent par le fait que leur date de production est antérieure ou très proche de celle de l’installation de l’ordre des Visitandines d’une part et qu’il s’agit, bien entendu, d’ornements liturgiques d’autre part. Veuillez m’excuser si j’accorde donc une place privilégié à ces œuvres, ce qui ne veut pas dire que les autres déméritent, loin de là, comme vous pourrez le constater en regardant la vue partielle de la fig. 1.
Figure 1
Vue partielle de la grande salle.
Au premier plan la chasuble blanche de San Remo (cat. 22), à gauche le voile de calice de l’ornement blanc et or
(cat. 21), à droite la chape blanche à motifs d’or (cat. 40).et, au fond à droite, des éléments de l’ensemble solennel de la béatification de Marguerite-Marie (cat. 11).
Je ne peux pas m’empêcher d’illustrer la chasuble de San Remo, travail italien de la fin du XVIIIe siècle, remanié par les religieuses au XIXe, avec un détail de la colonne dorsal, fig. 2, limitée latéralement par un galon brodé en guipure de filé or intercalé de frisé or en couchure. Le feuillage et les fleurs sont en soies polychromes au passé empiétant égayées par des cordons torsadés or.
Figure 2
Détail de la colonne du dos de la chasuble blanche de San Remo (voir Figure 1).
Restons dans cette salle où vous allez trouver une vitrine dans laquelle s’épanoui un dos de chasuble, fig. 3, le plus ancien de tous ceux exposés, de la fin du XVIe siècle, dans un état de conservation admirable aussi bien pour le satin du fond que pour la broderie à disposition. Le large galon et l’intérieur de la colonne, fig.4, brodés très densément, se détachent franchement par rapport au reste, où les rinceaux sont plus légers et mettent en valeur le satin rouge du fond.
Figure 3
Dos de la chasuble rouge italienne aux bouquets (cat. 2).
Collection J. & D. Fruman, don 2021.
Figure 4
Détail de la colonne dorsale de la chasuble rouge italienne aux bouquets (cat. 2).
Collection J. & D. Fruman, don 2021.
Ce dos de chasuble possède aussi son devant. Le dernier a été acheté, sous l’instigation de Josiane, aux Puces de Saint Ouen en 2010, et le premier a été vendu aux enchères à la salle Drouot en 2021, quand je préparais la donation au Musée de la Visitation. J’ai pu ainsi réunir ces deux « morceaux » qui, en dépit de ce que la conservation du devant est moins bonne que celle du dos, appartiennent indubitablement à la même chasuble.
Dans la même vitrine on trouve un corporalier[2], fig. 5, très probablement italien et du milieu du XVIe siècle, provenant de notre collection et acquis aussi aux puces de Saint Ouen. Sur le couvercle, au centre dans un cartouche ovale le monogramme IHS. Issus du cartouche quatre bouquets de fleurs à quatre pétales et aux angles un vase et des feuillages stylisés lancés en diagonale. Les quatre tranches sont aussi décorées d’un cartouche centré inscrit du monogramme IHS avec deux bouquets analogues à ceux du couvercle, un de chaque côté. Sur satin de soie cramoisi, broderie de canetille (frisure) argent et lame or en guipure sur rembourrage de fils cernée et rehaussée de cordonnet or et argent de plusieurs grosseurs. C’est un objet assez rare puisque il a été remplacé plus tard par les bourses de corporal, dont nous trouverons un élément plus loin.
Figure 5
Corporalier (cat. 5).
Collection J. & D. Fruman, don 2021.
Enfin, de la fin du XVIe ou début du XVIIe siècle un pavillon de ciboire, fig. 6, toujours de notre collection, de forme typiquement française. Le décor est composé de rinceaux de tiges feuillus portant de fleurs stylisées, parmi lesquelles on peut reconnaître des roses et tulipes, à leur extrémité. Sur satin rouge, la broderie est en filé argent en gaufrure pour les pétales des fleurs, en filé or en couchure et guipure pour les feuilles, et en cordonnets formés de cordons de différents diamètres revêtus de soie jaune et surguipés d’un filé or riant pour les tiges. Rehauts de canetille pour le cœur de certaines fleurs
Figure 6
Corporalier (cat. 6).
Collection J. & D. Fruman, don Agnès M. Fruman, 2022.
Au voisinage de cette vitrine, les commissaires de l’exposition ont eu la bonne idée de placer une chasuble, fig.7, rouge et italienne (Bologne) aussi, brodée sur taffetas de bouquets de fleurs d’assez petites dimensions, ce qui la place au XVIIe siècle. Tout donne à penser que, contrairement à celle de la fig. 3, le tissu de fond et sa broderie n’étaient pas destinés à un ornement liturgique, et à une chasuble en particulier. Fait curieux, les bouquets sont tous différents, fig. 8, et les galons, non brodés, délinéant la bordure, la colonne dorsale et la croix en taux du devant, empiètent carrément sur la broderie.
Figure 7
Chasuble rouge aux bouquets d’or[3]
Figure 8
Détail de la chasuble rouge aux bouquets d’or (fig. 7).
Un peu plus loin dans la même salle, une autre vitrine présente une chasuble de grande taille, fig. 9, espagnole, du milieu de XVIe siècle pour les orfrois et de la fin du XVIe ou début du XVIIe pour le fond. Elle provient aussi de notre collection, de la donation de 2022, et est un exemple caractéristique de l’adaptation d’un orfroi plus ancien dans une chasuble plus moderne.
Figure 9
Chasuble verte (cat. 4).
Collection J. & D. Fruman, don Agnès M. Fruman, 2022.
Sur satin de soie carmin, la broderie, fig. 10, est de filés et frisés or et argent en couchure et partiellement en guipure, et de fils de soies polychromes au passé plat et empiétant. Les motifs sont cernés et rehaussés d’un cordonnet de soie jaune.
Figure 10
Détail de la chasuble verte (fig. 9).
Dans cette même vitrine on trouve le dessus de bourse de corporal, fig.11, dont il a été question précédemment. Il se caractérise par l’extraordinaire qualité de la broderie d’une part et par le fait que son centre est occupé par un blason que nous pensons est bien celui des Carmélites.
Figure 11
Dessus de bourse de carmélitaine (cat. 3).
Collection J. & D. Fruman, don Agnès M. Fruman, 2022.
La qualité de la broderie ne peut pas être apprécée qu’en considérant le détail de la partie centrale, fig.12. Elle est d’une très grande richesse par la densité et la qualité des matières et la variété des points utilisés. On trouve du filé, frisé et cordonnet or de différents diamètres, du filé argent, le tout en couchure et en guipure. La soie bleu est utilisée pour donner la sensation de volume des godrons et pour les points croisés de la couchure. Les écoinçons étaient décorés de grenats sertis de cordonnet dont il n’en reste que quelques-uns.
Figure 12
Détail du dessus de bourse carmélitaine (fig. 11).
Le dernier objet de notre collection est un voile de calice, fig. 13, français, puisque l’IHS est décentré, du XVIIe siècle. Dans un médaillon, une croix grecque surmonte le monogramme IHS et un cœur sommé des trois clous de la Passion. Autour, quatre vases stylisés portant des branchages et des fleurs au naturel forment les bras d’une croix. Aux écoinçons les mêmes vases stylisés fleuris se répètent en inversant le col et la base. On y trouve des tulipes, des anémones, des pensées, des bleuets et des œillets épanouis et en bouton. Les vases et le monogramme du Christ (sauf le cœur) sont brodés en fils d’argent au couché (deux fils) et les motifs sont sertis de cordonnet d’argent qui se prolonge en volutes. Les fleurs et le cœur sont brodés de soies polychromes au passé empiétant.
Figure 13
Voile de calice fleuri (cat. 1).
Pour finir cette courte présentation je voudrais montrer, sans beaucoup de commentaires, quelques photos de broderies (mon péché mignon) pour vous donner encore plus envie de visiter cette exposition. Ainsi, tout au début du parcours vous serez inévitablement confronté à un antependium en perles (tubes) de verre en très bel état de conservation représentant, au centre, dans un cartouche circulaire, l’agneau tenant le bâton crucifère sur le livre de sept sceaux. Il est entouré d’un décor de fleurs, papillons, oiseaux et, chose surprenante, de plumes, fig. 14.
Figure 14
Détail de l’antependium de l’agneau sur le livre[4]
Vous ne pourrez pas ne pas vous arrêter pour admirer la chasuble, fig. 15, de l’ornement de Melchisédech (cat. 9) qui, en dépit du fait qu’elle ait pu subir des modifications et altérations au cours de ses quatre cents ans d’existence, est un superbe exemple de la production textile et de l‘art de la broderie – à plat, en relief, en nuances, d’or et d’argent, en guipure et en canetille…, fig. 16.
Figure 15
Chasuble de Melchisédech (cat. 9)
Figure 16
Détail du centre de la croix dorsale (fig. 13)
J’espère avoir éveillé en vous le désir de visiter cette exposition, qui restera ouverte jusqu’à la fin de l’année. Si vous décidez de vous rendre à Moulins n’oubliez pas de visiter aussi la cathédrale, pourvue de remarquables vitraux du XV-XVIe siècle, et le musée Jeanne de Beaujeu qui, en plus de ses collections permanentes, vous propose une excellente exposition sur la peinture baroque à Moulins.
Texte et photos Daniel H. Fruman
Octobre 2024
[1] La Fine Fleur de la broderie - Œuvres inédites du Musée de la Visitation, Danièle Véron-Denise, Gérard Picaud, Jean Foisselon, 2024
[2] Boîte de forme parallélépipédique dans laquelle on range le corporal.
[3] De fleurs en aiguille : L'art de la broderie chez les visitandines, Danièle Véron-Denise, Gérard Picaud, Jean Foisselon, 2009, cat. 14.
[4] Œuvre non publiée.
Date de dernière mise à jour : 05/12/2024
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