LES BRODERIES D’ARÉGONDE :
UN CHEF-D’ŒUVRE DE L’ART MÉROVINGIE
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PRÉAMBULE

En octobre 2024 le Musée d’Archéologie Nationale de Saint Germain-en-Laye a exposé « Les broderies restaurées de la reine Arégonde – D’or et de soie ». J’ai eu le privilège de pouvoir les voir et découvrir, avec admiration, des filés d’or posés en couchure et datant du VIe siècle. J’ai tout de suite pensé qu’il était important de publier une note à leur sujet  dans plaisirstextiles.com puisque cet exemple archéologique de broderie me paraissait tout à fait unique. Sa présentation au MAN suivait celle intitulée « D'un monde à l'autre » où l’on trouvait un tissu d’or provenant de fouilles, effectuées en 2020 dans la ville d’Autun, d’une nécropole datant du IIIe au Ve siècle.

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Tissu d'or agrégé à une motte de terre. © Denis Gliksman, Lucie Marquat, Inrap

Ainsi, à un tissu d’or suivait une broderie d’or d’une ancienneté de plus ou moins 1500 ans !

C’est Madame Blandine Dadillon, conservatrice-restauratrice du patrimoine spécialisé en arts textiles, qui a répondu favorablement à ma demande et me fait l’honneur d’être la première contributrice extérieure à intervenir dans les pages de plaisirstextiles.com. Je la remercie au nom de toutes les visiteuses et de tous les visiteurs.

Daniel H. Fruman  

BRODERIES D‘AREGONDE
Les broderies de la reine Arégonde, aujourd’hui conservées au Musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye, ont été découvertes lors des fouilles de la basilique de Saint-Denis, en 1959. Le sarcophage n° 49, sarcophage de pierre simplement décoré, refermait néanmoins un trésor exceptionnel : un ensemble de bijoux aujourd’hui célèbre et des restes de vêtements et accessoires, en textile, cuir et fils d’or.

Une bague inscrite permet d’identifier la défunte comme étant la reine Arégonde, épouse de Clotaire Ier et mère de Chilpéric Ier et qui a vécu au VIe siècle. Aujourd’hui, cette sépulture est datée autour de 580[i].

Les fragments de textiles retrouvés permettent de déterminer quels vêtements elle portait, ainsi que confirmer le haut statut social de la défunte, puisqu’il s’agissait d’étoffes très fines et richement décorées. Ainsi, les deux galons brodés d’or étaient placés sur chaque manche d’un manteau, au niveau des poignets. Bien que le motif géométrique et floral soit d’une grande finesse, les fils d’or étaient largement emmêlés au sortir des fouilles et le dessin était brouillé[ii].

Albert France-Lanord, le restaurateur de métaux chargé de la restauration des objets trouvés à Saint-Denis, propose de stabiliser ces broderies en les plaçant sur un papier de soie et en versant dessus un mélange de cire d’abeille et de résine dammar liquide[iii]. Depuis 1960, ces broderies furent donc conservées et exposées ainsi.

Malgré tout, la cire-résine aujourd’hui dégradée ne permettait plus d’apprécier les qualités esthétiques et informatives de la broderie. Il fallait donc envisager la restauration des broderies, afin de mieux les préserver.

Le travail d’étude et de conservation-restauration a été confié par le musée à une étudiante en conservation-restauration des textiles à l’Institut national du Patrimoine, dans le cadre du projet de diplôme ; un an d’étude historique, technique et scientifique a aidé à déterminer le meilleur traitement pour cet objet, qui a pu être restauré selon les principes déontologiques des musées.

Lors de l’étude, il est apparu que des fragments de l’étoffe textile étaient encore visible sous la couche de cire-résine, mais il n’était pas possible de déterminer l’armure. Grâce à une photographie sous lumière UV, l’hypothèse d’une toile a été émise (Fig 1).

Fig 1 detail sous lumiere uv de l armure toile du tissu des broderies inp blandine dadillon

Fig 1. Détail sous lumière UV de l'armure toile du tissu des broderies. ©INP - Blandine Dadillon

Quant aux filés métalliques, ils étaient composés d’une âme textile probablement en soie, mais qui a aujourd’hui disparu ; une feuille d’or était enroulée autour de cette âme. Dans le cas des broderies d’Arégonde, il s’agit de filés dits « couverts », symbole d’une production assez luxueuse, par comparaison avec les filés dits « riants » où la feuille d’or est distendue et laisse l’âme visible, dans le but d’économiser le précieux métal (Fig 2).
Fig 2 schema d un file couvert en haut comme sur les broderies d aregonde et d un file riant en bas inp blandine dadillon 1

Fig 2. Schéma d'un filé couvert (en haut) comme sur les broderies d'Arégonde,
et d'un filé riant (en bas). ©INP-Blandine Dadillon

Ces filés métalliques sont ensuite brodés avec la technique de la couchure : le fil d’or est maintenu sur l’étoffe par des points perpendiculaires (Fig 3).
Fig 3 schema de la broderie en couchure inp blandine dadillon

Fig 3. Schéma de la broderie en couchure ©INP-Blandine Dadillon

Les fils d’or sont très fragilisés : beaucoup sont pliés ou déformés, et lors de la restauration de 1960, la cire-résine en fusion s’est infiltrée dans les filés (Fig 4).
Fig 4 detail des fils d or avant traitement inp blandine dadillon

Fig 4. Détail des fils d'or, avant traitement. ©INP-Blandine Dadillon

 La cire-résine provoque un voile brun sur les filés métalliques, qui perdent leur éclat doré (Fig 5).
Fig 5 detail sous loupe binoculaire de la cire resine brune recouvrant les files d or inp blandine dadillon

Fig 5. Détail sous loupe binoculaire de la cire-résine brune recouvrant les filés d'or.
©INP-Blandine Dadillon

Les dégradations majeures de ces broderies nécessitaient une restauration importante : un protocole scientifique et des tests préalables ont permis de déterminer comment alléger la cire-résine sans dommage pour l’œuvre, et le traitement a pu débuter.

La cire-résine a été allégée à l’aide d’une spatule chauffante à bout très fin, afin d’accéder autant que possible aux zones en reliefs et aux aspérités. Il a fallu ne pas apporter trop de chaleur à proximité des fragments de textiles restants, mais dans les zones où il ne restait que des fils d’or, il a été possible de retirer la cire-résine au maximum, voire de replacer les filés métalliques qui étaient soulevés (Fig 6).
Fig 6 detail d un motif de triangle replace a sa place originale il etait initialement recouvert de cire resine brune inp blandine dadillon

Fig 6.Détail d'un motif de triangle replacé à sa place originale. Il était initialement recouvert de cire-résine brune. ©INP-Blandine Dadillon

Afin de manipuler les broderies sans danger, un plateau a ensuite été créé, permettant d’exposer ces œuvres rares, témoins des luxueuses productions textiles à la cour mérovingienne.

Blandine Dadillon


[i]Voir la synthèse des recherches menées sur la reine Arégonde, dans Périn, Patrick, « Portrait posthume d’une reine mérovingienne. Arégonde, épouse de Clotaire Ier et mère de Chilpéric Ier », 2015. Le Corti Nell’Alto Medioevo [en ligne]. [Actes de colloque, Fondazione Centro Italiano di studi sull’alto Medioevo, Spoleto, 24-29 avril 2014]. Settimane di studio del Centro Italiano di studi sull’Alto Medioevo, nº 62. Spoleto : Fondazione Centro Italiano di studi sull’alto Medioeve, 2015, p. 1001-1048. Disponible à l’adresse : https://www.academia.edu/12003895 [consulté le 30 mai 2024]

[ii] Sur cette opération de dépose des broderies, voir Fleury, France-Lanord, Les trésors mérovingiens de la basilique de Saint-Denis. Luxembourg : Gérard Klopp, 1998, p. 145.

[iii] Fleury, France-Lanord, 1998, p. 146.

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Date de dernière mise à jour : 21/01/2025