LA COLLECTION FRUMAN AU MUSÉE DE CLUNY
Entre 2018 et 2023 un total de douze œuvres de notre collection, listées ci-dessous, ont intégré, par achat et donation, les collections du Musée de Cluny. Vous pouvez accéder aux illustrations en cliquant sur chacun des titres.
1
Bande d’orfroi brodé
Fils de soie polychromes, or filé, fils d’or et d’argent sur armure toile
H. 123 ; L ; 22 cm
Florence, dernier tiers du 14e siècle, premier tiers du 15e siècle
Cl. 23928
Achat de M. et Mme Fruman, 2018
2
Applique brodée : Vierge à l’Enfant
Fils de soie polychromes, fils d’or et d’argent sur armure toile
H. 66 ; L. 26 cm
Allemagne ou Flandre
Porte la date brodée : 1451 ou 1457
Cl. 23929
Achat de M. et Mme Fruman, 2018
3
Chasuble cousue d’un orfroi sur le devant, d’une croix bordée sur le dos
Velours. Broderies de soie et fils métalliques.
H. 96 ; L. 54 cm
Velours : Italie, 15e siècle
Broderies : Cologne, 3e quart du 15e siècle
Cl. 23933
Don de M. et Mme Daniel et Josiane Fruman, 2019
4
Bande d'orfroi brodée : saint Pierre, saint Philippe, saint Thomas ou saint Matthias
Espagne, 1ère moitié du 15e siècle
Cl. 23941
Don de M. et Mme Daniel et Josiane Fruman, 2020
5
Chasuble comprenant deux orfrois
Espagne, 2e moitié du 15e siècle
Cl. 23942
Don de M. et Mme Daniel et Josiane Fruman, 2020
6
Trois fragments brodés : la Cène, le Lavement des pieds, le Christ à Emmaüs
Flandre, vers 1480
Cl. 23943-1, Cl. 23943-2, Cl. 23943-3
Achat Fuman, 2020
7
Trois panneaux de dalmatique
Fin du 15e siècle
Cl. 23944-1, Cl. 23944-2, Cl. 23944-3
Achat de M. et Mme Fruman, 2020
8
Panneau brodé figurant un ange porte-armoiries
Broderie de soies polychromes, filés or et agent en couchure sur toile de lin
1849 ou vers 1860 - 1870 (d'après une chasuble de 1434 - 1446)
Cl. 23981
Don de Mme Agnès Fruman, 2023
Étant donné que pour des raisons de conservation elles ne seront présentées que très occasionnellement au public, il m’a semblé intéressant, pour en garder un souvenir plus vivant, de reproduire ici les notices que nous, Josiane et moi, avons établies après les avoir acquises.
NOTICES DES ŒUVRES
1 BANDE D’ORFROI AVEC SCÈNES DE LA VIE DU CHRIST
Italie (Florence ?), entre 1350 et 1450
Dimensions bande : h : 1,23, la : 0,22
Dimensions panneaux (à l’intérieur du galon brodé): h : 0,24, la : 0,175
Cinq scènes, dont une mutilée, de la vie du Christ sont superposées. De haut en bas : l’annonciation, l’adoration des rois mages, le baptême du Christ, la transfiguration et Jésus et la Samaritaine. L'annonciation n’est reconnaissable que parce que l’on peut voir la partie inférieure de deux personnages ; celui de droite est incontestablement la Vierge, vêtue d’une tunique rouge et d’un manteau bleu comme dans la scène de l’adoration des rois mages en dessous, et celui de gauche, dont on aperçoit le bas des ailes, qui ne peut être autre que l’archange Gabriel.
Dans la scène suivante, sous une toiture à double pente qui abrite la crèche, on reconnait la Vierge Marie nimbée, vêtue d’une tunique rouge et d’un manteau bleu lui recouvrant la tête. Elle porte dans son giron l’Enfant, coiffé du nimbe trinitaire, qui tend ses bras vers un roi mage, Melchior, vêtu d’une tunique verte recouverte partiellement d’un manteau rouge doublé de bleu, agenouillé à ses pieds qui lui offre sa couronne posée par terre en signe de respect. À droite de la Vierge deux autres rois mages couronnés ; l’un avec une tunique verte et l’autre avec une tunique bleu couverte d’un tabard rouge portant chacun un vase contenant l’encens et la myrrhe. Au-dessus se tient un personnage civil, peut être un palefrenier, qui s’occupe des deux chevaux dont on aperçoit les têtes. À gauche de la Vierge se tient debout Joseph, tunique bleue et manteau rose. Derrière la Sainte Famille on aperçoit la tête de l’âne au-dessus de sa mangeoire.
La scène du baptême du Christ prend place dans un paysage de collines semé de quelques arbrisseaux découvrant un peu de ciel bleu, et pourtant étoilé, dans lequel plane la colombe du Saint Esprit. Saint Jean Baptiste, recouvert d’une peau d’agneau et d’un manteau rouge doublé de vert, se tient à droite et asperge Jésus en lui renversant une coupelle d’eau sur la tête. Jésus, coiffé du nimbe trinitaire, se tient nu, vêtu seulement du perizonium, débout, dans les eaux du Jourdain, et avec la main droite fait le signe de bénédiction. À gauche, deux anges, l’un agenouillée et l’autre débout, nimbés, ailes déployées, portent l’un la tunique rouge et l’autre le manteau bleu du Christ qu’on le voit porter dans la scène de la samaritaine.
Dans la scène de la Transfiguration on distingue Jésus, la tête entourée du nimbe trinitaire, les bras écartés, les mains ouvertes vers le ciel (signe ancien de prière ?), debout et avec à ses pieds trois des apôtres nimbés, Pierre, Jacques et Jean, se couvrant les yeux pour s’abriter de la lumière issue des « vêtements (de Jésus qui) devinrent brillants et d'une extrême blancheur, comme de la neige, tels qu'il n'y a point de foulon sur la terre qui puisse ainsi blanchir » (Marc 9:3). Jésus a conservé sa tunique bleue mais son manteau est devenu blanc en conformité avec le texte de la transfiguration. Les personnages nimbés aux côtés de Jésus sont ceux apparus au regard des apôtres : Élie, représentant les prophètes, et Moïse, représentant la Loi, qui s’entretenaient avec Jésus (Marc 9 :4-5). Cependant, s’agissant de personnages de l’ancien testament rien ne justifie la présence de nimbes autour de leurs têtes sauf qu’il est dit dans les évangiles qu’ils sont « apparus dans la gloire », donc entourés de lumière (d’où les nimbes).
La scène représentée dans le panneau inférieur est, en raccourci, celle de Jésus et la Cananéenne décrite dans Jean 4 : 5-30 et plus particulièrement Jean 4 : 25-28 quand les « disciples de Jésus qui étaient allés à la ville pour acheter de quoi manger » retournent et s’étonnent « que Jésus parlât avec une femme ». En effet, on voit à gauche Jésus, assis au bord du puits, s’entretenant avec la Samaritaine, à droite, portant un seau de la main gauche et offrant une cruche au Christ de la droite. À l’arrière on voit nettement deux disciples, dont l’un rapporte des pains (ayant acheté de quoi manger), suivis par d’autres, figurés seulement par des nimbes.
La broderie est de filé or et argent et fils de soie en couchure - d’un, deux ou trois brins - pour les fonds, de filé or partiellement en relief sur corde pour les nimbes et le galon périphérique, de soies polychromes au point fendu pour les carnations et les habits. Ces derniers sont rehaussés de bordures en filé or en couchure. Les sols des panneaux de la transfiguration et de Jésus et la Cananéenne montrent un motif en filé or couché avec de la soie bleu formant losanges. Le même motif se répète dans les panneaux du baptême et des rois mages avec de la soie bleu ciel, et, de la soie rouge, dans le fragment supérieur.
DOCUMENTATION
Notre bande d’orfroi appartient sans aucun doute à un corpus de broderies issues d’un, ou de plusieurs ateliers italiens très proches, du point de vue des sources iconographiques et techniques, travaillant dans une période comprise entre 1350 et 1450 probablement à Florence. Adolph S. Cavallo (CAVALLO (Adolph S.), A Newly Discovered Trecento Orphrey from Florence, The Burlington Magazine, Vol. 102, No. 693, 1960, p. 505-512, 515) a publié en 1960 une remarquable étude de deux pièces d’un bel orfroi florentin du XIV siècle acquises en 1958 par le Museum of Fine Arts de Boston (USA). Dans ce travail il inventorie1 les pièces techniquement et stylistiquement analogues et qui se divisent iconographiquement en deux groupes : « de la vie de la Vierge » et de la « vie du Christ » (sauf pour la chasuble avec l’histoire de la vie des saints Abbondio et Abbondanzio. Incontestablement, notre bande appartient à ce dernier groupe.
Chape à l’église de Santa Margherita a Montici, Florence
En se basant d’une part sur une chape, à l’église de Santa Margherita a Montici, près de Florence, qui a conservé ses bandes d’orfroi entières, et, d’autre part, sur le fait que tous les autres exemples connus de bandes avec les scènes disposées verticalement et ornant des chasubles sont mutilés en hauteur (et parfois en largeur), il montre que les deux fragments de Boston proviennent aussi d’orfrois de chape, chacun ayant à l’origine cinq scènes superposées. La lecture des scènes des orfrois du devant de la chape de Santa Margherita a Montici se fait en passant d’une bande à l’autre, de sorte que sur une même bande les scènes manquent de continuité historique. Ceci pourrait parfaitement expliquer le fait que dans notre orfroi il y a une grande discontinuité temporelle entre deux scènes successives du haut vers le bas. Puisque, par ailleurs, notre orfroi a aussi cinq panneaux, il provient, incontestablement, d’un des parements de devant d’une chape. Plus précisément de celui de gauche (en regardant la chape) à cause de la présence de l’annonciation, image initiatrice du cycle. Finalement, chose intéressante, toutes les scènes se réfèrent à des épisodes de la vie terrestre de Jésus : sa jeunesse et sa vie publique. Elles ne sont pas nécessairement dans un ordre chronologique strict et combinent différents évangiles. C’est ainsi que la scène de Jésus et la Samaritaine est placée après la Transfiguration quand, en fait, elle devrait la précéder.
Il existe d’autres panneaux de la « vie du Christ » de la même époque et de même technique. Ainsi, la chasuble du Philadelphia Museum of Art est décorée d’orfrois avec des scènes de la vie du Christ et, en particulier au dos de haut en bas : la Résurrection, l’apparition de Jésus à Marie Madeleine (noli me tangere), l’enseignement du Christ au apôtres, et Christ au Paradis avec Marie. Au Musée du Textile de Krefeld (Allemagne) on trouve un fragment représentant la Cène qui a été évidemment découpée à l’intérieur du galon brodé que l’on retrouve dans tous ces ouvrages. Sa largeur, 16 cm, est tout à fait cohérente avec celle de nos panneaux à l’intérieur de la bordure - 17,5 cm - tandis que la hauteur n’est que de 19 cm au lieu de 24 cm comme dans notre pièce, mais il semble que le panneau de Krefeld ait été amputé de quelques centimètres en partie basse.
Nos broderies sont stylistiquement et techniquement extrêmement proches de celles de la liste de la note 1. En particulier, la bordure, formant une grosse « corde » fortement en relief, faite d’une « âme » formée de nombreux fils de lin peu retordus, guipée ponctuellement par des filés or, ce qui permet de lui donner un aspect tournant, est pratiquement identique à celle de l’orfroi de la chasuble du Victoria and Albert Museum (MONNAS (Lisa), Merchants, Princes and Painters: Silk Fabrics in Italian and Northern Paintings, 1300-1550, Yale University Press, 2009, p. 98, fig. 100) et de la chasuble du Musée de la Chartreuse à Douais.. En outre les scènes sont encadrées par un double cordonnet fait aussi en guipant des filés or sur une corde de plus petit diamètre comme il apparait aussi dans l’orfroi du Musées Royaux d’Art et d’Histoire.
Le traitement des costumes, en particulier des plis des tuniques et manteaux sont aussi très proches si l’on compare par exemple la scène des rois mages de notre orfroi avec celle de la rencontre de la porte dorée dans la chasuble du V & A. Ils sont obtenus par d’étroites lignes presque droites indiquées par de la soie ivoire quand le fond est rouge, et vert et bleu foncé pour le vert jaune et le bleu ciel. Seul le manteau de la Vierge dans l’adoration des rois mages et celui de Joaquim dans la rencontre de la porte dorée sont traités avec des plis plus arrondis, fluides, et dégradés.
D’autres détails sont aussi intéressants à noter. Le « rayons » des nimbes de notre orfroi semblent avoir été réalisés de la manière décrite par Cavallo (ibid, p. 505) pour les décors en relief des fonds des orfrois de Boston. Le fond en losange de la Cène de Krefeld est tout à fait comparable au traitement des sols de notre pièce.
Il y a donc un faisceau convergent de présomptions qui nous portent à considérer, comme Cavallo pour les orfrois de Boston, que notre orfroi provient d’un atelier italien, et très certainement toscan, sinon florentin, du milieu de XIVe siècle.
L’adoration des rois mages : à gauche panneau d'orfroi de la collection Cougard-Fruman,
à droite panneau de la Maësta de Sienne du Duccio.
La scène des rois mages peut être stylistiquement rattachée au panneau de Duccio daté de 1311 faisant partie de la prédelle de la Maësta de Sienne. On retrouve en effet le même alignement diagonal de la Vierge, l’Enfant et Melchior agenouillé et embrassant les pieds de l’Enfant. La crèche est schématiquement représentée comme dans notre panneau, par un toit de chaume ( ?) à deux pentes. La tête du cheval au premier plan à gauche du panneau de Duccio est pratiquement reprise, inversée, deux fois dans notre orfroi, qui est aussi extrêmement proche de la fresque de l’adoration des mages de Giotto di Bondone (1267–1337) à la Chapelle Scrovegni à Padoue, où l’on trouve Joseph, grand absent dans la Maësta de Duccio.
Le bapteme du Christ, National Gallery of Art de Washington (USA)
La scène du baptême du Christ a une certaine ressemblance avec celle d’un panneau (Samuel H. Kress Collection, inv. 1939.1.131) daté entre 1330 et 1340 du Maître de la vie de saint Jean-Baptiste à la National Gallery of Art de Washington (USA) si l'on retourne horizontalement l'image pour placer les anges à gauche et Jean à droite. On retrouve en effet Saint Jean et le Christ, débout et nu, avec deux anges dans un paysage de collines avec des arbrisseaux. Dieu le Père dans une lunette en haut au centre a été remplacé dans notre orfroi par la colombe du Saint Esprit. Ce que l’on peut dire, au-delà des ressemblances formelles, est que la représentation un peu archaïque de notre scène correspond bien à celle prédominant en peinture à cette époque.
La Transfiguration, Duccio, National Gallery de Londres
La scène de la transfiguration est très proche du panneau du Duccio, aujourd’hui à la National Gallery de Londres, de la prédelle de la Maësta de Sienne datée de 1311. Les personnages sont cependant resserrés, en hauteur et largeur, pour permettre de les incorporer dans un rectangle.
Jésus et la Samaritaine, Duccio, Collection Thyssen-Bornemisza, Madrid.
Finalement, la scène de Jésus et la Samaritaine aurait pu aussi être inspirée en partie d’un autre panneau, aujourd’hui dans la Collection Thyssen-Bornemisza, de la prédelle de la Maësta de Sienne de Duccio (1311). La disposition de Jésus, assis sur la margelle du puits, et de la Samaritaine, débout, portant un sceau de la main gauche, et faisant un geste vers Jésus de la main droite, est, dans les deux œuvres, extrêmement proche. Par ailleurs, si l'on retourne horizontalement les apotres qui se trouvent à droite dans le panneau et on les place entre le C hrist et la Sammaritaine, on retrouve pratiquement la composition de la broderie (voir ci-dessous).
ÉTAT DE CONSERVATION
Remarquable tenant compte que l’œuvre a entre 600 et 650 ans d’âge. Quelques pertes très partielles dans les filés or et argent en couchure et dans les soies au point fendu des carnations. Aucun signe apparent de restauration.
1 L’inventaire de Cavallo comprend :
- Orfrois avec scènes de la vie de la Vierge au Museum of Fine Arts, Boston, (inv. 58.329 et 58.330)
- Chasuble avec orfrois de la vie de la Vierge au Musée de Douai (de FARCY, 2ème supplément, page , planche 209)
- Chasuble avec orfrois de la vie de la Vierge au Victoria & Albert Museum (inv. 329-1908)
- Chape à l’église de Santa Margherita a Montici, près de Florence (SCHUETTE (Marie), MÜLLER-CHRISTENSEN (Sigrid), La broderie, Paris, Morancé, 1963, p. , n° )
- Chape au Victoria & Albert Museum (inv. 580-I884)
- Bande supérieure d’antependium à Santa Maria Novella, Florence
On doit ajouter à cette liste,
- Chasuble avec scènes de la vie du Christ au Philadelphia Museum of Art (inv. 1972-47-1)
- Chasuble avec scènes de la vie des saints abbondio et abbondanzio au Museo dell’Opera Metropolitana del Duomo, Sienne, Italie « Drappi, velluti, taffettaà et altre cose, Nuova immagine, 1994, p. 109, n° 10).
- Une bande d’orfroi avec scènes de la vie du Christ de la collection Seligman (FARCY (Louis de), 2ème supplément, page , planche 219-2).
- Fragment de la Cène au Musée du Textile de Krefeld (Allemagne).
- Bande d’orfroi avec trois scènes de la vie du Christ (Nativité, fuite en Égypte et Jésus devant les docteurs) au Musées Royaux d’Art et d’Histoire, Bruxelles (ERRERA (Isabelle), Collection de broderies anciennes, J.-E. Goossens, Bruxelles, 1905, p. 18-19, n° 24).
- Orfrois du dos d’une chasuble avec scènes de la vie du Christ, Collection Cougard-Fruman.
2 Sauf pour la chasuble avec l’histoire de la vie des saints Abbondio et Abbondanzio.
2 VIERGE À L’ENFANT
Allemagne ou Flandres ?, milieu du XVe siècle
Dimensions : 66,5x26 cm
Il s’agit d’une œuvre étonnante de par ses dimensions (66,5x26 cm) et sa qualité que nous avons eu la chance d’acquérir dans un état de conservation qui semblait assez médiocre mais s’est avéré bien meilleur qu’espéré. Comme nous allons le montrer il s’agit très probablement d’une broderie allemande (Bas-Rhin) datée de 1451 et d’une extrême rareté.
La Vierge, Figure 1, debout, couronnée, nimbée et tenant un sceptre de la main droite, porte sur son bras gauche replié l’Enfant - totalement nu pour souligner la nature humaine du Dieu incarné - qui entoure de son bras droit le cou de la Vierge et appuie sa main gauche sur le col de la tunique de celle-ci. Elle est très richement vêtue d’une tunique bleue à manches - col carré et corsage à plis - recouverte d’un ample manteau rouge retombant en plis élaborés. Sa chevelure - coiffée en arrière et dégageant son oreille droite - se étale en mèches sur l’épaule, tandis que celle de l’enfant est faite de bouclettes serrées. Elle porte une couronne fermée (impériale), formée d’un cercle surmonté de quatre grands fleurons, trois grosses perles et trois arcs se réunissant au sommet pour soutenir une croix. Le sceptre se termine par un fleuron ouvragé (fleur de lys ?). La Vierge esquisse un sourire et se penche légèrement vers l’Enfant qui à son tour lève la tête et croise son regard.
Figure 1, Vierge à l'Enfant, Collection Fruman
Elle se tient debout sur un visage masculin (masque), Figure 2, de profil dirigé vers le bas, représentant le pouvoir du démon vaincu par la naissance du Christ. On distingue clairement de gauche à droite le front, l’œil, le nez, la bouche et le menton ; sur le front est brodé une date que
Figure 2 : Détail du masque (visage masculin) de profil
de la Vierge. Collection Fruman
Sur une toile fine, la tunique, le manteau, le nimbe et le visage masculin sont en filés d’or et d’argent très fins couchés et croisés de fils de soie. Les visages des deux personnages et la chevelure de la Vierge sont brodés au point fendu avec quelques points de tige pour marquer les mèches. Un gros cordonnet composé d’une âme de soie bleue entouré de lame et filé métal (cuivre) a été utilisé pour le sceptre et les boucles de la chevelure de l’Enfant. La Vierge porte autour du cou un collier composé de perles de métal. La broderie sur le corps de l’Enfant et le haut de la poitrine de la Vierge a presque totalement disparu, Figure 3.
Figure 3 : Détail Vierge à l'Enfant, Collection Fruman
La représentation de la Vierge avec couronne et sceptre et portant l’Enfant assis sur le bras gauche est assez classique et Brel-Bordaz [1] la signale dans la chape de la Vierge de Saint-Bertrand-de-Cominges, du 1er quart du XIVe siècle et de facture « opus anglicanum ». Notre broderie présente des caractéristiques iconographiques particulières que nous allons traiter par la suite.
Le modèle de l’Enfant totalement nu, avec un bras – soit le gauche ou le droit suivant le côté où il est représenté - derrière le cou de la Vierge peut être trouvé dans de nombreuses xylographies allemandes, comme par exemple les numéros 1076, 1076-1, 1091, 1099 et 1099-1 de Bartsch [2], Figure 4 (a), (b), (c), (d) et (e). Le geste de l’Enfant, posant sa main gauche sur la poitrine de sa Mère est sur la xylographie 1091, Figure 4 (c), la couronne fermée de grande taille à fleurons est sur les xylographies 1076, 1099 et 1099-1 et 1099-2, Figure 4 (a), (d), (e) et (f), tandis qu’un visage masculin de profil, de face ou de trois quarts est foulé par la Vierge sur les xylographies 1099, 1099-1, 1099-2 et 1101, Figure 4 (d), (e), (f) et (g). Il faut noter que le visage masculin est dans ces xylographies incorporé dans la partie concave d’un croissant de lune tournée vers le bas, ce qui n’est pas le cas, et ne semble pas avoir été le cas à l’origine, dans notre broderie. On retrouve la chevelure de la Vierge coiffée en arrière, dégageant l’oreille et retombant sur son épaule sur les xylographies 1076, 1099 et 1099-1, Figure 4 (a), (d) et (e). L’Enfant nu avec un bras entourant le cou de la Vierge est représenté aussi dans la Vierge à l’Enfant dite de Lyon attribuée à un maître français vers 1425 [3]. La douceur du visage de la Vierge est très proche de celle de la Figure 4 (g).
Figure 4 : Xylographies allemandes du XVe siècle.
De a à f, de gauche à droite et de haut en bas
Presque identique est la disposition des deux personnages dans une xylographie coloriée, Figure 5, datant de 1450-1460 à la National Gallery of Washington. Un exemple extrêmement proche pour ce qui est de la gestuelle de l’Enfant et la présence du sceptre est dans une xylographie vers 1460 que l’on peut consulter sur le site de l’Université de Wisconsin que nous reproduisons en Figure 6 (a) et en image miroir en Figure 6 (b). Cependant, la couronne de la Vierge est ouverte au lieu d’être fermée.
Figure 4 : Suite (g) Figure 5 : Xylographie
National Gallery, Washington DC
La représentation de la Vierge avec l’Enfant nu entourant le cou de sa Mère avec son bras est une constante dans l’art allemand et des Pays-Bas du XVe et XVIe siècles. On retrouve la gestuelle de l’Enfant ainsi que la coiffure de la Vierge - dégageant l’oreille et retombant sur l’épaule - dans deux tableaux : l’un de Dieric Bouts (Theodore M. Davis Collection, Bequest of Theodore M. Davis, 1915 (Accesion number:30.95.280)) , Figure 7, et l’autre de l’atelier de Gérard David (Robert Lehman Collection, 1975 (Accesion number: 1975.1.118)) , Figure 8, au Metropolitan Museum. Les deux peintures datant de quelques dizaines d’années après notre broderie.
(a) (b)
Figure 6 : Xylographie, Université de Wisconsin, USA
Figure 7 : Dieric Bouts, MET, USA Figure 8 : atelier de Gérard David, MET, USA
En sculpture, un exemple frappant est La Vierge au croissant de Tilman Riemenschneider, Figure 9, du Spencer Art Museum (Gift in memory of Professor Harry C. Thurnau through the Estate of Myrtle Elliot Thurnau, inv.1952.0001) des premières années du XVIe siècle. En tapisserie, celle appartenant au Bayerischen Nationalmuseum (Inv. Nr. T696 [4]) de Munich, Figure 10, est plus flagrante encore dans sa similitude avec notre broderie en dépit du fait que la couronne de la Vierge est ouverte au lieu de fermée.
Figure 9 Figure 10
Nous pensons que les xylographies et les autres œuvres d’art allemandes mentionnées ci-dessus sont à la source de l’iconographie de notre broderie et sommes tentés de lui attacher une origine allemande plutôt que flamande.
Cette tentative d’attribution est confortée par l’existence au Germanisches Nationalmuseum de Nuremberg d’une Vierge à l’Enfant [5], Figure 11, extrêmement proche de la nôtre quoique plus petite puisqu’elle ne fait que 51 au lieu de 66,5 cm, et elle est supposée être originaire du Bas-Rhin et de la fin du XVe siècle. La Vierge est aussi habillée d’une tunique bleue à plis et d’un manteau rouge, Elle est nimbée, coiffée d’une couronne fermée, porte un sceptre sommé d’un fleuron à droite et se tient debout sur un croissant de lune enfermant un masque masculin de profil à la peau noire. L’enfant est nimbé, totalement nu, porte le bras droit autour du cou de la Vierge et pose le gauche sur le manteau de celle-ci. Cette broderie est presque identique, à la symétrie horizontale près, de la xylographie de l’Université de Wisconsin, Figure 6 (b). La plus grande différence vient du fait que dans la xylographie le croissant de lune est dirigé vers le haut plutôt que vers la bas, qu’il n’y a pas de visage masculin et que la couronne de la Vierge est ouverte. On peut voir facilement que la broderie du nimbe, avec des rayons tournoyants, est la même dans les deux broderies et typique des ouvrages allemands du XVe siècle.
Figure 11 : Vierge à l’Enfant, © Germanisches Nationalmuseum, Nuremberg, Photo : Monika Runge
Les deux broderies – la nôtre et celle du Germanisches Nationalmuseum - sont très similaires sauf que : la Vierge a un visage avec une expression absente et l’Enfant est nimbé dans la broderie de Nuremberg ; le manteau de la Vierge n’a pas de fermoir, les plis sont plus souples et le croissant de lune est absent dans notre broderie.
Il est intéressant de signaler que Marguerite Calberg dans sa remarquable étude [6] de 1938 consacrée à la Vierge au croissant - broderie en ronde bosse de 65 cm de hauteur, de très belle et riche facture - des Musées Royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles, Figure 12, la compare à la broderie de Nuremberg, quoiqu’elle soit brodée « à plat » comme la nôtre. On ne peut s’empêcher de reprendre quelques passages de cet article où elle décrit l’Enfant Jésus en ces termes : « La figure seule de ce dernier suffirait à établir quels liens étroits unissent les deux œuvres (Nuremberg et Bruxelles) ; l’analogie est saisissante entre les deux Enfants nus qui du même élan se suspendent au cou de leur Mère, lèvent vers elle leur tête casquée de bouclettes » et « Des bouclettes d’or, courtes et serrées, forment les cheveux de l’Enfant ». Ces textes pourraient s’appliquer sans changer une virgule à l’enfant de nôtre broderie.
Rien ne permet de l’affirmer mais on peut penser que notre exemplaire était peut être appliqué sur une autre broderie le contournant et représentant une gloire avec des rayons flamboyants, le nimbe de l’Enfant et le croissant de lune comme dans la reconstitution que nous nous permettons de proposer dans la Figure 13.
Figure 12 : Vierge au croissant, Figure 13 : Montage Vierge à l'Enfat,
Musées Royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles collection Fruman
De par sa taille notre broderie pourrait avoir été placée au centre d’un antependium comme celui de la Figure 14 où elle est entourée des douze apôtres, six de chaque côté qui a appartenu à Louis de Farcy qui l’a publié dans son magistral ouvrage [7]. Puisque la hauteur de l’antependium est de 72 cm on peut envisager que celle de la Vierge était d’une cinquantaine de centimètres, assez proche de la broderie de Nuremberg. Dans le cas de notre broderie la hauteur de l’antependium qui aurait pu l’héberger aurait dû être de 90 à 100 cm, ce qui semble tout à fait cohérent avec les dimensions de ces ornements. En nous référant encore à Calberg, elle se demande aussi, tout comme nous, si sa «… Vierge ne pourrait pas avoir été l’ornement principal d’un somptueux antependium »
Figure 14 : Antependium, XVe siècle, ancienne collection Louis de Farcy
Nous ne pouvons pas ignorer d’autres hypothèses concernant sa destination parmi lesquelles celle d’un tableau de dévotion où elle aurait pu être seule comme le montre la Figure 13, ou en tant qu’ornement d’un triptyque, ou comme embellissement d’une bannière, quoique nous n’ayons aucun exemple connu d’un tel ouvrage pour le XVe siècle.
En conclusion, notre broderie est d’une extrême rareté parce qu’elle est datée, d’une grande qualité d’exécution et aurait pu orner un antependium fabriqué en Allemagne (Bas-Rhin) ou aux Pays-Bas bourguignons au milieu du XVe siècle. Elle vient rejoindre deux autres œuvres insignes analogues connues ; la Vierge à l’Enfant du Germanisches Nationalmuseum de Nuremberg et celle des Musées Royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles, et permet de préciser la probable date d’exécution de ces ouvrages.
[1] BREL-BORDAZ, O., Broderies d'Ornements Liturgiques XIII-XIV siècles-Opus Anglicanum, Nouvelles Editions Latines, Paris, 1982, p ; 66- 67, fig. 28.
[2] German Single Leaf Woodcuts Before 1500 - Anonymous Artists, Richard S. Field, Abaris Books, 1987[3] B.N. Estampes, Ea 5 rés.
[4] DURIAN-RESS, Saskia, Meisterwerke mittelalterlicher Textilkunst. Aus dem Bayerischen Nationalmuseum, Schnell u. Steiner, 1986, p. 162-163, N° ,61.
[5] ZANDER-SEIDEL, Jutta, “The Virgin in Glory”, in: G. Ulrich Großmann, Ornament and Figure. Medieval Art from Germany, München/Nuremberg, 2000, p. 30-31, No. 34.
[6] CALBERG, Marguerite Une Vierge au Croissant Brodée de la Fin de l'Époque Gothique, Bulletin des Musées Royaux d'Art et d'Histoire, 1938, No.2, p. 27-34.
[7] FARCY, Louis de , La broderie du XIe siècle jusqu'à nos jours d'après des spécimens authentiques et les inventaires, Angers, Belhomme, libraire éditeur, 1890, planche 65-1.
3 CHASUBLE
Italie (fond) et Allemagne (Cologne) (orfrois), 3ème quart du XVe siècle
Dimensions : 96, x54
La chasuble est en velours italien coupé avec de grands motifs quadrilobés enserrant une grenade stylisée et une petite fleur dans les espaces entre quadrilobes. Sur le dos est appliquée une croix avec la représentation du Christ mort crucifié, la tête, surmontée d’un phylactère portant le motto « INRI », est couronnée d’épines et entouré d’un nimbe trinitaire, le corps est parsemé de blessures saignantes, la taille est entourée d’un perizonium, et les pieds sont superposés et cloués ensemble. A gauche de la croix la lance et à droite l’éponge imbibée de vinaigre au bout d’une branche d’hysope. Au pied, la Vierge couverte d’un manteau bleu est soutenue par saint Jean, vêtu d’une cape rouge doublée de bleu. La croix et les personnages sur un tertre fleuri où sont posés le crâne et un tibia d’Adam.
Deux inscriptions, une au-dessus de la croix « Pater i(n) manus tuas » et une autre sous le tertre « o crux ave spes unica ». Sur le devant une bande est décorée de l’initiale de Marie à l’intérieur d’un cartouche de fleurs stylisées, du nom du Fils « ihesus », d’un arbre de vie, du nom de la Mère « maria », et d’une rosette à huit pétales enserrée dans un quadrilobe.
Il s’agit d’un tissage rehaussé de broderie de soies polychromes.
Ancienne Collection Prof. Liebermeister
DOCUMENTATION
Le velours est identique à celui d’une chasuble publiée par Errera (p. 162-163, N° 163) donné comme italien du XVe siècle ( ?). Notre croix de chasuble est identique de celle du Bayerischen Nationalmuseum (voir Durian-Ress (Saskia), Meisterwerke mittelalterlicher Textilkunst aus dem Bayerischen Nationalmuseum, München/Zürich, 1986, p. 148 N° 56) et très proche de celle de The Cloisters à New York (inv. 53.35.3), qui porte les mêmes inscriptions mais ne présente pas les deux bras de la croix. L’arbre et la rosette de la bande du devant sont à rapprocher d’éléments figurant dans les bandes des numéros 17, 18 et 24 du catalogue du musée Schnütgen (Sporbeck, p. 105-108, fig. 17b et 18 a, N° 17 et 18, et p. 133-135, fig. 24c, N° 24). La disposition verticale de différents motifs est identique à celle de deux clavis de dalmatique de l’Ösrerreichisches Museums für angewandte Kunst de Vienne (Mayer-Thurman, 1975, p. 105-105, N° 27) tandis que l’on retrouve la fleur à huit pétales dans un quadrilobe dans un fragment du Het Catharijneconvent à Utrecht (Schilderen, p. 110 et 137, N° 4) et dans la bande de poitrine de la chasuble citée ci-dessus. Voir aussi la bande et la hampe de la croix de chasuble reproduites dans Errera (p. 188, N° 200A et p. 165, N° 163B).
Le texte latin « o crux ave spes unica » signifie Salut ô Croix, unique espérance, et fait partie de l’hymne à la croix « Vexilla regis prodeunt » (Voici que les étendards de notre roi s’avancent) attribué à Venance Fortunat (évêque de Poitiers au VIème siècle) et chanté traditionnellement le dimanche des Rameaux et de la Passion.
« Pater in manus tuas commendo spiritum meum » (Père, entre tes mains, je remets mon esprit), sont les dernières sept paroles prononcées par le Christ sur la croix (Lc. 23,46) Le rappel des quatre premiers mots donne à cette crucifixion toute sa signification douloureuse et l’intensité de l’appel du Fils au Père.
L’ouvrage, combinant le tissage et la broderie, est typique des travaux exécutés à Cologne au XVe siècle et connus comme kölner borten. On voit dans notre exemplaire ainsi que dans celui du Bayerischen Nationalmuseum que la hampe et les deux bras de la croix ont la même largeur, qu’ils ont été probablement tissés ensemble en ensuite montés pour assurer le mieux possible la continuité du dessin. Ceci explique pourquoi dans la croix du Bayerischen Nationalmuseum on a pu rapporter deux pièces supplémentaires, provenant d’une autre bande mais avec un décor de fleurs stylisées à chaque extrémité de la traverse. La broderie se limite aux visages, aux mains, aux plis et aux bordures des vêtements, et aux rehauts des nimbes.
4 BANDE D’ORFROI
Espagne, XVe siècle
Dimensions (sans galons rajoutés) : 119x18,5
Dimensions de chaque niche : 41,7x14,3
La bande comporte trois niches superposées de taille tout à fait inhabituelle. L’architecture des niches est faite de deux colonnes qui supportent un dais composé de quatre tourelles, dont les deux centrales décalées en hauteur, reliées entre elles par trois bandeaux crénelés percées d’une fenestrelle pour les deux côtés et d’une niche pour celui du centre. Au-dessus est une coupole de grande taille terminée par un clocheton. Chaque tourelle est surmontée d’un pinacle pointu au bout duquel est une courte hampe au bout de laquelle flotte bannière carrée de couleur rouge unie. À l’intérieur de chaque niche est un apôtre débout avec son attribut ; de haut en bas, saint Pierre avec la clé, saint Philippe avec la croix, et Thomas (ou Matthias)1 avec la lance.
En haut et en bas on a rapporté un galon brodé horizontal en or couché du XVIe siècle. Un galon ibérique de couleur bleu, d’une époque postérieure, entoure la totalité de la bande. Au dos, restes d’un texte manuscrit et de textes imprimés en latin (postérieurs probablement à la date de réalisation de la broderie).
DOCUMENTATION
Cette œuvre, appartenait à la collection José Moragas Pomar (1873-1945), et a été exposée du 12 décembre 1959 au 7 janvier 1960, sous le numéro 30 de la section de broderies, dans la Sala Parés de Barcelone où elle fut probablement vendue2. D’après nos renseignements elle serait restée à Barcelone dans une collection privée jusqu’en 2012. Elle a été acquise encadrée comme sur la reproduction du catalogue de l’exposition de 1959.
L’architecture des baldaquins est très proche de celle des deux bandes d’orfroi de chasuble donnée par María de Solier, épouse de Juan de Velasco y Sarmiento (1375-1418), Señor de Medina de Pomar, au Real Monasterio de Santa María de Guadalupe3 probablement au début du XVe siècle. Par ailleurs, les personnages représentés sont aussi placés, comme dans notre pièce, devant un fond en or dessinant en partie haute, avec la limite basse du baldaquin, un hexagone. Finalement, les couleurs des bandeaux et des coupoles changent dans chaque panneau tout comme dans notre bande. Les similitudes sont telles que nous pensons qu’une attribution à l’Espagne et une datation au début du XVe siècle est, en accord avec la mention portée au catalogue Moragas1, tout à fait plausible.
ÉTAT DE CONSERVATION
Très bon. La partie supérieure de la niche de Saint Pierre a été coupée à une époque indéterminée. Manques aux visages.
1 Reproduit dans “Del Tejido à la Hebra” in ARS Magazine, n° 19, 2013, p.121.
2 Exposición de / cuadros-bordados-muebles-cerámica- indumentaria / procedentes de la colección Moragas, Barcelona, diciembre 1959. Les apôtres représentés sont, suivant la description qui y est donnée : Pierre, Matthias et Judas Thaddée. Elle est donnée comme étant de la période gothique espagnole du début du XVe siècle.
3 García (Sebastián), Los bordados de Guadalupe – Estudio histórico-artístico, Ediciones Guadalupe, 2006, p. 31, 39, 64, 65.
5 CHASUBLE
Espagne, fin du XVe siècle
Dimensions (devant) : h : 1,24, la : 0,89
Dimensions (dos) : h : 1,33, la : 0,87
La chasuble en velours carmin est de très grande dimension et de forme et décoration espagnole, avec colonne droite sur le devant et sur le dos. Elles sont formées d’une superposition de niches enfermant chacune l’image d’un saint. Au dos, de haut en bas, Paul, Jacques le majeur et André ; sur le devant saint Nicolas et un saint non identifie. L’architecture des niches est formée deux colonnes latérales coiffées de chapiteaux qui soutiennent deux tourelles sommées de créneaux et coiffées d’un toit pointu. Une frise en pente les relie à deux tourelles analogues entre lesquelles on a place deux fenestrelles triangulaire. Au-dessus, une toiture décorée de trèfles et sommée d’une fleur de lys. En dessous, entre les tourelles, indication de trois voutes à ogives et d’un mur plein drapé en partie basse par un fond arrondi d’or avec des motifs géométriques. Le sol, en perspective, est formé d’un damier alternant des carreaux or et couleur. Les saints personnages, habillés de tuniques et de manteaux, sont éclairés de nimbés rayonnants et portent leurs attributs – l’épée et le livre pour Paul, le chapeau avec la coquille et le bâton de pèlerin pour Jacques, la croix en X et le livre pour André, la mitre et les trois enfants dans le saloir pour Nicolas.
La broderie est d’or en couchure pour le ciel au-dessus du baldaquin, les nimbes, les carreaux du sol, les trèfles et les draperies, en gaufrure sur corde pour les galons limitant les niches, d’argent en couchure pour les toits pointus, de soies polychromes au point passé pour les colonnes, l’architecture du baldaquin, les tuniques et les manteaux. Les personnages sont brodés séparément et appliqués, comme il est habituel, sur la broderie des niches.
DOCUMENTATION
L’architecture du baldaquin est pratiquement identique à celle d’un fragment d’orfroi du Deutschen Textilmuseums de Krefeld (Allemagne) où il est attribué à la Hollande de la fin du XVe-début du XVIe siècle (Europäische Stickerein 1250-1650, Schnell & Steiner, 2010, p. 107-108, n° 7). Cependant, la réalisation est différente puisque le ciel est traité en soies au lieu d’une couchure or comme dans nos niches. Cette attribution, quoique pertinente tenant compte qu’il s’agît d’un fragment hors de son contexte, ne nous parait pas justifiée eu regard que dans notre chasuble, typiquement espagnole, les niches sont parfaitement adaptées et intégrées aux colonnes du devant et du dos.
Le fragment de Krefeld, pratiquement une niche entière, mesure 0,412x0,217 et est très proche des niches de notre exemplaire de 0,495x0,217 (galon compris). Nous pouvons penser qu’il s’agit d’œuvres exécutées dans le même atelier avec de légères variantes, en particulier la forme des colonnes diffère et l’arrière-plan des personnages est en totalité brodé d’or en couchure.
Une particularité de notre chasuble est sa grande hauteur qui aurait dû être encore plus grande à l’origine, avant que la niche supérieure du dos soit privée de son baldaquin.
ÉTAT DE CONSERVATION
Moyen, La broderie des visages et mains est disparue et il y a des nombreuses manques dans la broderie de soie. L’image de saint Nicolas, dans la niche supérieure de la colonne du devant, est du XVIe siècle et a été appliquée, comme c’est habituellement le cas (voir Trésor Brodé, p. 58-59, N° 10), pour dissimuler une usure trop prononcée de cette partie de l’ornement. Cette réparation, la mutilation du baldaquin de saint Paul et la mise de la chasuble en forme « violon » ont probablement eu lieu à la même époque.
Date de dernière mise à jour : 06/01/2025
Ajouter un commentaire