HAUTE COUTURE POUR LE CULTE
En 1972 Federico Fellini réalisa le film « Roma » dans lequel il incorpore un défilé de mode ecclésiastique d’une durée de presque dix minutes, au cours desquelles son œil sarcastique et son imagination fébrile offrent une vue surréaliste de ce qui peut être cette « mode », si elle se trouve livrée à la création indiscriminée de la « haute couture ». Avec un tel précèdent, la décision des Amis de la Cathédrale de Tournai d’organiser un défilé, Figure 1, « inattendu » de la collection 1450-1950 du vestiaire du culte catholique (il faut bien le spécifier) conservé dans la sacristie de cette vénérable institution était, pour le moins, courageuse et, pour le plus, hasardeuse.
Figure 1 : Affichette de présentation de l’évènement projetée sur grand écran.
C’est vrai que la mode ecclésiastique, j’insiste, du culte catholique, réserve d’innombrables surprises puisqu’au cours de cinq siècles - de la fin du moyen âge au milieu du siècle dernier – elle a subi des changements qui restent ignorés de la plupart des fidèles et qui ont été influencés par ceux de la pensée et de la mode profane. Il n’est pas mon intention de faire un cours sur l’usage éducatif du décor des habits des prêtres – chasubles, chapes, dalmatiques – et autres linges sacrés. Cependant, entre 1450 et 1650 on offrait au regard un décor d’images de saints personnages ou de scènes historiées, brodées essentiellement avec des matériaux riches qui jouent avec la lumière pour attirer le regard des fidèles. L’église portait ainsi son enseignement au sein même des cérémonies du culte. Au-delà de 1650, la nécessité de recourir à ces représentations diminue considérablement et on les remplace par des décors géométriques - arabesques, rubans, cuirs découpes - qu’incorporent peu à peu des vases fleuris, de guirlandes de fruits et fleurs au naturel ou d’imagination, des feuillages et branchages... Il faut attendre le milieu du XIXe siècle pour revenir à une représentation de saints personnages et scènes historiées en association avec une « renaissance » de l’art gothique. Le XXe siècle, surtout pendant sa seconde moitié, prône la simplicité, et se laisse pénétrer par l’art contemporain où l’abstraction, à fort impact visuel, qu'ignore tout récit.
D’après ce qui précède, il faut reconnaitre que les Amis de la Cathédrale de Tournai ont réussi leur gageure. En accompagnant le défilé, comme le fit Fellini, d’un texte explicatif récité par deux locuteurs placés à chaque extrémité de l’estrade, ils l’ont rendu intelligible aux spectateurs.
Pour des raisons de conservation d’une part et de disponibilité d’autre part, puisque elles se trouvaient au TAMAT pour l’exposition Habiller le culte, les œuvres les plus anciennes -XVe et début XVIe siècle - et l’ornement dit « Grand Rouge de Saint-Martin » n’ont pas défilé et seules quelques images ont été montrées dans les deux écrans se trouvant aux extrémités du podium.
Ainsi, on débute le défilé par la mise en scène de l’habillement du prêtre pour la messe, endossant successivement l’amict, l’aube, le cordon, l’étole, le manipule et la chasuble, Figure 2. On a choisi pour cette démonstration l’ornement blanc de l’abbé de Saint-Martin de Tournai Antoine de Roore datant de 1633. La chasuble est agrémentée sur le devant d’une bande d’orfroi montrant trois niches superposées, Figure 3, abritant chacune un saint sur un fond de paysage. Sur le dos, et comme il est normal pour un ornementdes Pays-Bas du Sud, est fixée une croix latine décorée avec des scènes peuplées de personnages, Figure 4. Dans cette photo on voit aussi en arrière-plan le dos d’une dalmatique appartenant au même ensemble et embellie avec des orfrois à personnages.
Figure 2
Chasuble de l’ornement de l’abbé de Saint-Martin Antoine de Roore (1633) (devant).
Figure 3
Chasuble de l’ornement de l’abbé de Saint-Martin Antoine de Roore (1633) (devant).
Figure 4
Chasuble et dalmatique de l’ornement de l’abbé de Saint-Martin Antoine de Roore (1633)
D’un ornement dit le Grand rouge de Saint-Jacques de velours brodé d’or en couchure et guipure avec des quadrilobes refermant des symboles se rapportant à Jacques le majeur, la Figure 5 montre une chasuble suivie d’une dalmatique et de deux chapes.
Figure 5
Chasuble, dalmatique et chapes du Grand rouge de Saint-Jacques.
La Figure 6 montre une chape de l’ornement dit Grand rouge de Lyon, dont le fond est embelli de broderie d’or formant des grands rinceaux et enroulements portant à leurs extrémités des symboles eucharistiques – des grappes de raisin et des épis de blé – et des fleurs d’imagination. Notez le riche chaperon dont le motif central est la représentation du pélican donnant son sang à ses petits. Il est entouré d’une gloire rayonnante, dont les rayons les plus longs, en haut et sur les côtés, sont un rappel de la Trinité, suivie d’une large bordure reprenant le décor du corps de la chape.
Figure 6
Chape du Grand rouge de Lyon
Dans les ornements dits « blancs » on peut mentionner, outre celui déjà présenté en figures 2 à 4, la chape de la Figure 7 qui se distingue par le fait que le fond est moderne tandis que les orfrois et le chaperon sont anciens, du XVI siècle, de très belle facture, avec un superbe travail d’or nué et en couchure rehaussé par un relief accentué . Les orfrois sont scandées par des cartouches circulaires, enfermant des scènes histories racontant la Vie de la Vierge, séparés par un complexe décor fait de rinceaux feuillagés. La magnifique broderie du chaperon illustre l’Arbre de Jessé, Figure qui se distingue, par rapport à d’autres représentations, par le fait que Jessé, père du Roi David et initiateur de la généalogie de la Vierge et son enfant, est assis sur un trône au lieu de couché ou récliné, comme dans un manuscrit de la bibliothèque de l’Arsenal à Paris.
Figure 7
Chape de l’ornement de l’abbaye prémontrée de Bonne-Espérance (orfrois)
Figure 7 (chaperon). Copyright E. Depuyter
Fait partie aussi des ornements « blancs » la magnifique chape de l’ornement Cotrel , Figure 8, produite dans l’atelier Dormal-Pons entre 1730 et 1734.
Figure 8
Chape de l’ornement Cotrel, produit dans l’atelier Dormal-Pons de la ville d’Ath.
La production moderne et contemporaine a été représentée par une série de chasubles de forme gothique exécutées par la maison Grossé, dont nous montrons un exemplaire particulièrement remarquable en Figure 9.
Figure 9
Chasuble de la Maison Grossé
Nous pourrions nous étendre plus longuement sur cet évènement qui se conclut par une « finale » somptueuse, pendant laquelle on a vu défiler en quelques minutes l’ensemble des ornements sous les applaudissements des spectateurs, conquis par leur beauté, mise en valeur et sublimée par la grandeur du lieu.
Date de dernière mise à jour : 01/02/2022
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